mardi 30 novembre 2010

Etre à la mode

Les garçons profitent de l’uniformisation de la mode des hommes et des jeunes gens pour préserver leur besoin d’identification à un groupe, même si certains jeans sont de meilleure qualité que d’autres…Mais les filles ? Au moment où elles commencent à choisir l’image d’elle-même qu’elles veulent voir dans leur miroir elles sont déchirées entre le modèle maternel, souvent de plus en plus radicalisé et le goût des copines de leur classe. La maman, qui serre ses cheveux dans un voile, a tellement peur que sa fille soit écartée par les petites européennes vêtus de caracos très courts et des pantalons taille basse qu’elle accepte pour elle l’exagération inverse de sa tradition ancestrale.

Parfois, plutôt que d’envenimer la peine, il est plus utile d’inventer une alternative. Un bout de tissu assorti à la couleur du vêtement peut devenir châle ou ceinture flatteuse, « est-ce que cela te ferait plaisir si je te donnais ce gadget ? Il me semble qu’il va bien avec tes yeux ? » Rien n’empêche d’y joindre un ruban, un bracelet, un collier, n’importe quelle pacotille qui rappelle l’ornementation des robes du bled et enjolive l’habit à la mode européenne.

Que font d’autre les grands couturiers quand ils font défiler des vêtements brodés, colorés et même coupés selon des traditions empruntées aux gens du monde entier ? Les clients sont venus en avion et les imitateurs des marques célèbres les étudient en regardant internet. Les jeunes filles des Cités ne peuvent-elles inventer la même formule ?

CIFRI

mercredi 24 novembre 2010

Le même chant d’amour

Est-ce copie ou invention d’une même proclamation de l’expérience humaine ? Les savants s’entendent à décrire des filiations possibles entre les mythes Babyloniens, et leurs cultes d’où viendrait l’interprétation hébraïque du Cantique des cantiques au VII° s. bc , ou bien le roman arabe du X°s. «Majnùn, le fou de Layla », toujours réédité, qui aurait inspiré l’Amour courtois et les romans de Chrétien de Troyes au XII°s.

Shakespeare nous donne peut-être la réponse à ces hypothèses quand cet Anglais du XVI° siècle place en Italie le drame de l’amour impossible de « Romeo et Juliette ». Rien d’étonnant que le musicien Léonard Bernstein et le cinéaste Robert Wise nous raconte «West Side Story » en 1961 peu avant « Le collier perdu de la colombe » de l’artiste Nacer Khemir édité en 1993.

C’est toujours la même épreuve initiatique qui est décrite car les hommes sont plus proches que différents. Toucher au cœur de leur expérience rend l’œuvre admirable par tous, comme le Taj Mahal Indien qui attire des touristes venu de tous les continents.

CIFRI

mercredi 17 novembre 2010

Le temps ou les temps

« Il perd son temps ! » s’irrite l’Européen qui scrute l’horizon sans y discerner la silhouette basanée qu’il attend. Mais le même homme écoute « les nouvelles du temps » à la radio, lui aussi explique «n’avoir pas le temps» de faire ceci ou cela, et tout le monde comprend ces énoncés qui ne dépendent pourtant pas du cadran qui orne son poignet. Les conventions de la langue couvrent les diverses significations du même mot.

Comment s’étonner que celui-ci recouvre des situations liées au climat, « Il fait mauvais ou beau temps » au genre du travail requis, Quel paysan ne « prendrait pas le temps » de saluer le passant ? Alors qu’on informe la famille de la gravité d’une opération en lui indiquant le temps qu’elle a duré. Il arrive aussi que le temps de la prière s’accomplisse dans une durée qui frôle l’éternité de Celui qui est invoqué.

Selon l’importance que prend le sacré dans la conception de l’existence, le « temps » change de sens, il est mesure des rencontres extérieures au cadran de la montre, ou de l’efficacité matérielle mesurée par l’horloge, ou bien transcendé par l’éternité. Quoi d’étonnant que sa perception soit liée à la civilisation de chacun ?

CIFRI

mercredi 10 novembre 2010

Promenade au Louvre

Cette immense boite à bijoux que constitue l’ancien palais des rois de France devenu musée suscite maintes questions sur l’histoire des civilisations. Ces maintes questions seraient elles des éléments de réponses à nos interrogations actuelles ?

Par exemple:

Pourquoi le choix de chaque visite évacue-t-il souvent les salles qui présentent d’autres réalisations, même si celles-ci sont contemporaines ?

Pourquoi en passant des chefs d’œuvre grecs, le plus souvent en marbres, aux œuvres médiévales les vitrines brillent-elles soudain des reflets de l’or et de l’argent ?

Pourquoi les mêmes sujets sont-ils traités par des artistes de civilisations différentes ? et pourquoi supportent-ils des compositions diverses selon leurs époques ?

CIFRI

mercredi 3 novembre 2010

La perspicacité du sphinx

Lorsque le sphinx, cet animal fabuleux, qui est à la fois homme et lion, dévore les voyageurs qui ne savent pas résoudre son énigme, il pose une interrogation fondamentale : « Quel est l’animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ? » C’est l’expression de la grande interrogation des philosophes grecs, perplexes devant la stabilité de l’être et la continuité du mouvement : « Tout coule ! » En reconnaissant l’identité inaltérable de l’homme par delà son évolution inéluctable, et à cause de celle-ci, Œdipe échappe à l’ignorance. Le vieillard s’appuie, certes, sur une canne mais celle-ci contracte dans sa main toue l’expérience de sa vie, la durée de tous ses cheminements devenus un intense présent.

L’histoire de chaque culture développe ce phénomène : les plus riches sont les plus mélangées. La mode féminine elle-même, cet art si populaire, emprunte ses lignes, ses étoffes, ses ornements à toutes les civilisations qui se sont moins affrontées que fécondées. La chance des changements techniques de notre monde ne serait-elle pas qu’à leur cadence trop rapide sont mêlés inexorablement des migrations plus vastes que jamais ?

Qu’aurait dit Vercingétorix si on lui avait annoncé l’opulence à venir des vignobles d’Aquitaine ?

CIFRI

mercredi 27 octobre 2010

Le temps ou les temps

« Il perd son temps ! » s’irrite l’Européen qui scrute l’horizon sans y discerner la silhouette basanée qu’il attend. Mais le même homme écoute « les nouvelles du temps » à la radio, lui aussi explique «n’avoir pas le temps» de faire ceci ou cela, et tout le monde comprend ces énoncés qui ne dépendent pourtant pas du cadran qui orne son poignet. Les conventions de la langue couvrent les diverses significations du même mot.

Comment s’étonner que celui-ci recouvre des situations liées au climat, « Il fait mauvais ou beau temps » au genre du travail requis, Quel paysan ne « prendrait pas le temps » de saluer le passant ? Alors qu’on informe la famille de la gravité d’une opération en lui indiquant le temps qu’elle a duré. Il arrive aussi que le temps de la prière s’accomplisse dans une durée qui frôle l’éternité de Celui qui est invoqué.

Selon l’importance que prend le sacré dans la conception de l’existence, le « temps » change de sens, il est mesure des rencontres extérieures au cadran de la montre, ou de l’efficacité matérielle mesurée par l’horloge, ou bien transcendé par l’éternité. Quoi d’étonnant que sa perception soit liée à la civilisation de chacun ?
 
CIFRI

samedi 16 octobre 2010

Jeux de stratégie

La tradition millénaire des a longtemps privilégié les jeux à damier avec autant de pions clairs que de noirs, en particulier les Echecs La maîtrise de ces jeux faisait partie de la formation au pouvoir des jeunes Babyloniens comme des seigneurs du Moyen Age…( car ils aiguisaient la rigueur du raisonnement logique, tout en signifiant les limites de celui-ci.)

Faisant appel à l’intelligence rationnelle, cette pédagogie met en œuvre un exercice de déduction logique: « que va choisir l’adversaire entre les possibles qui s’offrent à lui ? » En même temps, ce jeu dépasse la formation à la déduction car il place les joueurs dans le cadre des alternatives de la vie : L’espace du jeu est délimité et ainsi les deux adversaires sont contraints de reconnaître qu’ils ne peuvent échapper aux données de base des problèmes que la vie les obligera à régler sans pouvoir en changer les termes. Par là, les Echecs sont une école de vie car ils confrontent l’évidence factice des victoires aux aléas de la réalité. Le dessin du damier qui entremêle le noir et le blanc rappelle que l’ombre et la lumière éclairent simultanément l’ambiguïté des situations.

CIFRI

Cf. Œuvres de Marie Denise Pierrelée

vendredi 1 octobre 2010

Un lieu pour discuter

Les proverbes populaires qui tiennent lieu de longues digressions pour ceux qui maîtrisent mal le langage figurent parfois dans les guides touristiques comme une plaisanterie, et pourtant quelle efficacité sociale possèdent ces raccourcis! Ils renvoient les interlocuteurs au partage d’une sagesse commune, vestige de la maison des palabres africaine ou de la zaouïa musulmane si cet espace a disparu de nos quartiers surpeuplés. Il était pourtant précieux ce lieu de confrontation qui changeait le rapport de force en dialogue nécessaire pour que deux êtres libres s’aident à grandir plutôt que de s’abaisser à une diatribe qui humilie souvent le soi-disant vainqueur plus que celui qui est faussement soumis.

Au local, on a évité de justesse une bataille au couteau et les objets susceptibles de servir à des agressions ont été immédiatement évacués « Si tu nous a punis, comme cela, sans qu’on parle, c’est que tu as eu peur...protestait vivement un gamin Malien, c’est idiot de croire que cela suffit, on peut toujours faire pire, tandis que si tu avais parlé, on aurait renoncé à ces bêtises. »

Où est donc la case à palabre qui manque dans nos Cités ? Il en reste heureusement des témoins, venus des pays du soleil, qui obligent les Français à se rappeler les salles monastiques réservées à « se parler » entre hommes libres.

CIFRI

Cf. Louis Gardet La Cité musulmane , Vrin 2003

mardi 14 septembre 2010

Le balancement de la mémoire orale

" Arrête de te balancer d’un pied sur l’autre en récitant ta leçon » exige l’adulte, et l’enfant de regretter : « Alors, je ne la sais plus ».

L’anthropologue Marcel Jousse a démontré qu’on ne peut s’approprier la connaissance sans l’intériorisation du mouvement qu’il soit, au début, dansé ou mimé Cet enracinement dans le corps rend la mémoire orale aussi ineffaçable que celle de l’ordinateur ! Sans cette participation du corps à l’acte de l’intelligence, l’esprit ne peut se l’approprier définitivement.
Les peuples anciens ont maîtrisé des formes différentes d’apprentissage des connaissances qui se transmettent depuis le berceau et qui éduquent non seulement une civilité très codifiée mais un rapport très fin au temps et à l’espace. On se balance d’avant en arrière ou de droite à gauche. Et c’est toujours à cette référence essentielle de l’emplacement de l’auditeur que les guides modernes situent les lieux : « A votre gauche, à votre droite… »

Ce lien entre le corps et l’esprit est incontournable : Le théâtre a commencé bien avant l’école : qu’ils soient Grecs ou Japonais ou Bantous, tous les hommes lui ont confié l’éducation des peuples parce que ce procédé universel délègue à l’acteur le mouvement intérieur de chaque spectateur. La mémoire des scènes est souvent qualifiée d’émouvante, au sens précis du terme car elle met en mouvement celui qui les revoit plus tard, mise indéfiniment à sa disposition. C’est parce qu’il s’est intériorisé que le mouvement a gardé sa puissance.

CIFRI

CF. Marcel Jousse « L’anthropologie du Geste », Gallimard, 2008

lundi 30 août 2010

« La mode, c’est ce qui se démode »

Ils tiennent tellement à leur capuche ou leur casquette, qu’ils ne veulent pas les quitter même en pénétrant dans le Foyer. Ils se regimbent si on remarque « On se découvre quand on entre dans une maison. » mais ils acquiescent si on déplore « Dommage que tes copains ne puissent pas te voir ! » Cette observation est d’autant plus efficace que les dits copains sont assez à l’aise dans la maison pour y déposer capuche et casquette. Il s’agit donc de quitter une imitation pour une autre, mais celle-ci plus adaptée à la situation.

La reine Béatrix de Hollande remarqua joliment : « La mode, c’est ce qui se démode » en revendiquant la libre adaptation des vêtements à chaque personne plutôt que la conformité des robes à un rêve collectif.

Sous l’inquiétude des jeunes à propos du regard de leur entourage, sourd leur manque de confiance en eux et cette appréhension s’augmente de toutes les mises en garde qu’on peut leur adresser. Valoriser leurs qualités personnelles en proposant des modèles valorisant mais accessibles honore les personnes même si elles ne sont pas roi ou reine. Peut-être ces jeunes seront-ils un jour assez solides pour imposer à leur goût et leur choix de vie.

 
CIFRI

lundi 9 août 2010

Complainte des parents des banlieues

Comment faire quand on est parent ?
C’est écrasant de devoir tout faire,
travailler, ranger, garder les enfants,
la famille est trop éloignée pour aider,
ses conseils ne sont pas adaptés.
A qui parler quand on est ennuyé ?

Les voisins sont trop occupés,
ils ne parlent pas bien ma langue.
A l’école, les maîtres vont se plaindre,
Je me sens même étranger
Quand je sors de ma Cité.

Les jeunes connaissent trop de choses,
des choses que nous ne savons pas.
Ils ne veulent pas nous entendre,
Nous même, on ne les comprend plus.

Comment les punir
si on n’a pas le droit de les battre ?
A quoi préparer nos enfants ?
Ils disent « On sera chômeurs comme toi ! »

Comment habiller nos filles
pour qu’elles ressemblent à la fois
à leurs mères et à leurs camarades ?


CIFRI


Cf. M. J.Coloni Enfants déracinés Ed Ouverture Lausanne

mardi 20 juillet 2010

Jeux d’adresse

«Attends, je vais te montrer…» La souplesse de la main n’est pas qu’habileté, maîtrise du corps, elle est d’abord imitation, élaboration d’une précieuse relation entre le modèle et celui à qui il transmet son expérience, et celle-ci est riche de tous les savoirs qui l’ont précédée.

Quand des jeunes de cultures différentes jouent ensemble ils font vibrer les cordes qui les relient à leurs ancêtres et c’est l’occasion d’une nouvelle harmonie. Au fil du temps les Jeux dits olympiques s’enrichissent de nouvelles disciplines, mais c’est tous les jours que les banlieues pourraient pavoiser de nouvelles correspondances entre les civilisations, et celles-ci sont porteuses d’espérance pour le monde à venir.

En effet, Les matériaux changent mais les formes demeurent puisqu’elles proviennent de l’observation du corps humain et de l’immuable nature. A la fin, e symbolisme du cercle ou du carré unit les mains qu’elles soient noires ou blanches, jeunes ou vieilles.

CIFRI

Cf. Camara Laye « L’enfant noir » 1953

vendredi 16 juillet 2010

Le pays de tous

C’est l’histoire d’un pays sans toit ni voix, Un drôle de pays avec des§maisons empilées
Des maisons décapitées de leurs faîtages
Des maisons qui ont perdu leur terre,
Des tours qui n’ont plus de tête,
Plus de demeures, rien que des logements !

C’est le pays du silence
Que traversent seulement des cris,
car sans « toi » il n’y a plus de voix,
Autant dire qu’il n’y a plus de loi,
Sans toit, sans voix, sans « toi » ni loi,
Il n’y a plus que « les autres »
Et ils font peur.

Pourtant les tours sont des sémaphores.
Si hautes qu’on les voit de très loin,
Elles apportent les odeurs de tous les pays,
Des mangues, des merguez, des kiwis.
Ces tours sont comme des grands arbres
Chargés d’enfants en guise d’oiseaux.

N’ayant encore rien à défendre,
Les jeunes sont libres d’observer.
Pourvu qu’ils trouvent une sécurité,
Ils voient dans « les autres » « quelqu’un ».
Car le quartier est le pays de tous
A condition d’en être responsables.

Alors, les tours vont devenir des mâts,
En se gonflant, leurs voiles éclaireront
Les murs ternes de toutes les couleurs,
On entendra le vent chanter :
« Celui qui pointe n’est pas un étranger,
C’est ton frère qui vient parler de toi. »

CIFRI

Pour aller plus loin: Amin Maalouf Les échelles du Levant Grasset 1996

mardi 6 juillet 2010

Jeux de société

Pourquoi ne reproche-t-on jamais « Tu triches » à l’élève qui fait une faute de grammaire alors qu’on n’excuse pas l’altération de la règle du jeu ? Il s’agit pourtant bien de transgression de conventions qui ne sont pas inaltérables, d’ailleurs elles se modifient au cours des siècles…Seulement, l’orthographe s’apprend en classe tandis que Jungle speed est un jeu, seulement on doit aller à l’école tandis qu’on choisit son jeu. Mais peut-on parler à quelqu’un sans référence commune au même langage ? Peut-on jouer en société sans règle du jeu ? A la note compromise par les fautes d’orthographe ne correspond que l’humeur suscitée par le comportement du tricheur. Son éducation se fera sans doute plus profondément par les griefs de ses copains que par l’échec de son devoir, L’enfant qui se livre au jeu ne fait-il que se distraire ou bien apprend-il à vivre ?

Les Grecs privilégiaient l’humanisme quand ils inventaient les Olympiades et les cirques Romains ne gardaient que le nom des Jeux mais vidaient leur portée pédagogique en les réduisant à des rapports de force.

CIFRI

Cf. Œuvres de Mme Montessori

mercredi 30 juin 2010

« Objets inanimés avez-vous donc une âme ? »

La remarque de Lamartine éclaire le brouillard dans lequel les Cités cherchent un chemin. Pour donner un poids concret au passé, une conteuse s’était munie d’objets concrets pour narrer l’aventure de Cendrillon : un éventail qui date du dix-huitième siècle et un collier grec, copie de celui que portait la reine d’Argolide 800 ans avant notre ère. Etonnés par la forme inusitée des perles dorées, les jeunes semblaient touchés que la vieille reine ait pu déjà connaître l’histoire de la jeune fille méprisée qui épouse un prince : « Il y a donc toujours eu quelqu’un pour rapporter ce conte à des descendants des poètes grecs. Et la transmission ne s’est pas arrêtée… » Le temps qui court de siècle en siècle et de pays en pays prenait un bel habit doré pendant que les jeunes se passaient le collier de mains en mains.

Ce fut encore autre chose quand l’éventail fermé tint lieu de baguette magique avant de se déplier pour montrer d’un côté le château du prince et de l’autre les parures des belles dames invitées ! Ce qui saisit l’attention de cette jeunesse c’était la monture d’ivoire incrustée de minuscules feuilles d’argent : « On dirait qu’il vient de chez nous » s’exclama un adolescent d’origine algérienne. La réponse « C’est qu’il est catalan, donc méditerranéen. C’est un cadeau que m’a fait ma grand’mère qui l’avait reçu elle-même de sa propre grand’mère » laissa le groupe songeur. « C’est vraiment à toi ? Nous, on n’a plus des vieilles choses comme cela dans nos maisons, parce que tout est resté au pays quand les parents sont venus. C’est dommage ! On se souviendrait mieux. »

Peut-être, en effet, que la sagesse des millénaires passés formerait plus profondément les esprits si la durée de la réflexion humaine pouvait s’éprouver avec les doigts.

Peut-être le rapprochement entre les civilisations serait-il plus envisageable si les objets familiers présentaient plus souvent leur origine biculturelle. Les visites dans les musées qui exposent des objets d’outre-mer sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont doublées de découvertes analogues au Louvre ou à la Villette, qu’il s’agisse de parures, de tissus ou d’outils.

CIFRI

Cf. Les contes de ma mère l’oie, Charles Perrault

vendredi 25 juin 2010

De quoi on parle ?

On me dit : « Fais attention, Tu n’écoutes pas »
Et c’était déjà pareil à l’école,
Là-bas, j’avais de mauvaises notes,
Ici, je n’obtiens pas ce que je demande.

C’est à cause des mots qui ne me disent rien
L’administration, c’est compliqué
On ne comprend pas les mots des imprimés,
Souvent même ceux des guichetiers
Les mots résument des images
Je les vois bien, seulement
Ce ne sont pas les mêmes
Pour moi et pour celui qui me parle.

Entre lui et moi, il y a un écart
L’étendue de la Méditerranée.
Voisins depuis si longtemps,
N’aurions-nous pas dans nos tiroirs
Des souvenirs semblables ?

CIFRI

vendredi 11 juin 2010

Identité ou autodestruction ?

Les plantes grimpantes se cherchent un appui pour grandir, s’il leur convient elles fleurissent facilement, mais allez donc faire pousser un poirier contre une barrière métallique ! Si la famille est défaillante, si l’immeuble est plus hostile que tolérant, le professeur sera démuni face à l’enfant privé de terreau où planter ses racines. Il manquera une marche à l’escalier social tant que le petit homme n’aura pas fait l’expérience d’une communauté dans laquelle il se reconnaisse.

Or, le jeune d’aujourd’hui est pris dans la mondialisation dès son berceau qui vient d’Asie, dès sa purée achetée dans une grande surface multinationale, dès ses rencontres dans sa Cité multiculturelle. S’il réduit sa communauté à l’ascendance de sa famille, il se trompe dangereusement, parce que ce leurre l’isolera plus qu’il ne le soutiendra.

Le jeune villageois que la maladie écartait de la maison maternelle trouvait abri dans la parentèle qui prolongeait le home momentanément clos. Si on n’offre pas au jeune « des Quartiers » une collectivité pluriculturelle assez petite pour qu’il puisse en toucher les murs, il ne pourra pas s’enraciner, il cherchera toujours qui il est au risque de ne trouver un miroir adapté que derrière les murs d’une prison.

CIFRI

Cf. Amine Maalouf « Les identités meurtrières » Grasset 1998

mardi 1 juin 2010

Complainte des enfants des banlieues

Moi je suis seul en les attendant

Où sont papa et maman ?
Au travail, loin de chez nous, pour payer le loyer,
et moi je suis seul en les attendant.
Chacun de leur côté, ils se sont séparés
parce qu’ils ne s’entendaient plus,
et moi je suis seul, en les attendant.

Où sont mes grands parents ?
Au pays d’où viennent mes parents,
ils sont trop loin pour nous aider.
et moi je suis seul en les attendant.
A la campagne, loin de la ville,
ici les loyers sont trop chers .
Au travail, pour gagner de quoi vivre.
et moi je suis seul en les attendant

CIFRI

Cf. Laurent Ott. L’enfant seul Dunod

mardi 25 mai 2010

Qui suis-je ?

Il n’y a pas plus de quelques générations, les Français parlaient la langue de leur province avant d’apprendre celle de leur pays et ils portaient les vêtements traditionnels de leur région. Non seulement les coiffes des femmes mais la forme des costumes et leurs couleurs proclamaient l’appartenance des individus au groupe dans lequel sa place était marquée dès sa naissance. Cette première étape s’appelle encore aujourd’hui en Suisse « bourgeoisie » et elle autorise son détenteur à se reconnaître Suisse, parce qu’il est bourgeois de telle ou telle communauté à taille humaine…Il se déclarera d’autant plus volontiers patriote et attaché à la nation qu’il tient à elle par une ascendance « palpable », si on ose décrire ce processus d’identification immédiate. Il est Suisse parce qu’il est Soleurois, et non l’inverse.

Il est évident que le jeune banlieusard porte des vêtements anonymes et même souvent « unisexe », parle une langue différente de celle de ses grands parents, cependant c’est encore par son environnement immédiat que la presse situera le jeune en difficulté dans « les Quartiers » alors qu’elle célébrera le jeune « Massicois » distingué par une victoire sportive. Les mots sont plus têtus qu’il n’y paraît, tant il est vrai que l’appartenance de proximité ne peut être oubliée.

CIFRI

Cf. Œuvres de Marie Denise Pierrelée

mardi 11 mai 2010

Qu’est-ce qu’on va faire de toi ?

Michel Drucker a raconté son parcours original dans un livre savoureux qui braque le projecteur sur une réalité souvent oubliée. Il n’avait aucune raison de rater complètement sa scolarité : milieu privilégié, famille aimante, soutien fraternel et, à la fin, pas de baccalauréat envisageable… Pourtant, aujourd’hui, c’est son patronyme qui rend notoire sa famille. Il rend compte de ce paradoxe en évoquant ses ancêtres, intelligents, travailleurs, mais parmi eux, quelqu’un devait jouer du « violon sur le toît » au sein du chtettel ! Dépositaire inconscient de cette spécialité originelle, le petit garçon ne pouvait réussir autre chose que faire fructifier l’héritage inscrit dans ses gènes.

Les artistes contemporains ont largement puisé dans le patrimoine international pour moderniser la peinture, la sculpture, la musique, et même la mode. Que serait actuellement le rayonnement de la culture européenne sans cet apport ? Celui dont on ne sait que faire, faut-il l’exclure ou bien l’écouter comme fit le patron de ce gamin analphabète et insupportable devenu maroquinier comme ses aïeuls marocains. Le cordonnier vend maintenant des portefeuilles et des objets de luxe.

CIFRI

Cf. Michel Drucker « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? »

vendredi 30 avril 2010

Composantes de la Mémoire orale

La mémoire enfermée dans un graphisme convenu ne survit pas seulement en s’agrippant au papier, car toute mémoire est globale. Elle restitue un cadre visuel ou auditif et nous remarquons encore aujourd’hui : « Je me revois à cet instant… », « Je l’entends encore me dire… » Au fur et à mesure que ses éléments se multiplient, un tri se fait entre ce qui s’efface et ce qui ne peut disparaître. Même insignifiant pour quelqu’un qui n’en connaît pas le contexte, telle saveur, telle mélodie demeurent intactes et d’autant plus prégnantes qu’elles associent des épisodes successifs.

Le linguiste Alain Rey remarque la survivance de certains mots antiques dans l’argot des banlieues alors même qu’ils ont disparus de la langue écrite. Retenus oralement, ces expressions ont traversé des siècles…à l’insu des érudits comme des analphabètes. Comment est-ce possible puisque le cadre visuel et peut-être l’accent qui pouvaient soutenir la mémoire de ces locutions a disparu ? L’auteur explique qu’entre la villa romaine du « Dominus », le château médiéval du « Dom » ou celui du « Baron » et l’appartement du HLM où le « Daron et la Daronne » tentent d’éduquer leurs rejetons, il reste une situation semblable : c’est à eux que revient l’autorité. A travers toutes les évolutions historiques, la relation a gardé ses fortes composantes d’affection et de crainte qui assure la continuité des mots. Le gamin s’excuse encore : «Je ne peux pas rester, ma daronne m’attend».

CIFRI

Cf. « Lexik des cités », Fleuve Noir, 2007, p.8 / 9 et 135

mercredi 28 avril 2010

A l’école, je suis nul

Pourquoi je m’ennuie à l’école ? Parce que je ne réussis pas à apprendre.
les lettres ne m’obéissent pas quand je les lis.
D’ailleurs, je ne comprends pas tous les mots.

Parce que je ne vois pas
à quoi sert ce qu’on m’apprend.
Je suis tellement nul que je n’ai pas
Les habits des autres.

Quoi faire pour me distraire ?
Faire partie d’une bande
pour être moins seul,
Me battre pour être le plus fort.
Au moins, trouver de l’argent
pour compter pour les autres
La prison n’est pas si terrible
puisqu’on y retrouve ses copains.

Cette expérience trop précoce de la solitude répond exactement aux problèmes des parents, car l’isolement de ceux-ci est encore plus lourd que celui de leurs enfants tant les changements ont été rapides. Il n’y a qu’une ou deux générations, à côté de la maison paternelle, il y avait « la famille » ; à la campagne, tout le monde veillait sur les jeunes, en ville, la maman restait à la maison pour s’occuper des enfants, et surtout, les anciens pouvaient comprendre à la fois les parents et leurs rejetons. La naissance d’une nouvelle société fait surgir des questions difficiles.

CIFRI

Pour aller plus loin : les oeuvres de Jean Marie Petitclerc

mercredi 21 avril 2010

L’identité refusée

Les Cités que secrètent les grandes villes enchevêtrent une population qui pourrait se sentir solidaire puisque la pauvreté atteint semblablement beaucoup de leurs habitants, Maghrébins et Noirs, Français en échec et immigrés. Cependant, la défense instinctive de ces exclus est souvent de se réfugier dans un passé idéal au risque de refuser l’évidence de leur nouvelle et commune identité : celle de la commune qui les rattache à la nation

Peu importe que les usages soient différents, si l’odeur qui monte des cuisines se répand dans la même rue, si l’électricité des mêmes escaliers brûle à la fois pour l’ouvrier qui rentre tard ou pour les jeunes qui s’ennuient dehors.

Comment rendre fiers de leur adresse les jeunes qui s’ostracisent eux-mêmes, sinon en soutenant des réussites partagées ? Quelle image d’eux-mêmes peuvent proposer les jeunes, sinon la réalité d’une appartenance commune au même sol.

L’Académicien s’honore bien de reprendre le fauteuil de ses prédécesseurs, pourquoi l’héritage des hommes qui les ont précédés, en France et aussi dans leurs civilisations d’origine, ne serait-il pas leur passeport pour entrer ici et maintenant sur la terre qu’ils vont fouler ?
CIFRI

Cf. Albert Camus Le premier homme Folio Gallimard 1994

jeudi 15 avril 2010

Fixation de la mémoire orale

Quand le Petit Prince demande « Dessine-moi un mouton », il parle comme tous les enfants qui réclament « Dessine-moi » Le théâtre est finalement le dessin animé d’une parole qui est la trame du spectacle, de ce qu’on propose au regard. Après avoir proposé aux enfants d’une Cité de faire un journal de celle-ci, les adultes furent surpris de la monotonie de la mise en page : Dans la moitié inférieure de chaque page, des scènes de misère ou de peur et au-dessus un paysage de jolies fleurs et de petits animaux domestiques, des lapins des poussins…C’était, expliquaient les enfants, « le pays de notre cœur », tragiquement opposé à la réalité. Un seul dessin revenait régulièrement, comme la conclusion du chapitre, c’était une grande étoile dorée qui traversait une nuit toute noire. L’auteur qui n’avait pas encore ses neufs ans résumait : « La nuit, ça existe juste pour faire voir les étoiles. »

Comment conserver le bénéfice de l’oralité tout en justifiant le recours au papier ? On peut aisément justifier le dessin du texte déjà retenu par cœur par la facilité qu’offre le papier pour partager le message avec des personnes hors de portée de la voix. La preuve de cette nécessité de fixer le message pour le transmettre se voit dans les antiques stèles du Louvre qui portent la parole égyptienne à travers les siècles. Le même musée expose aussi les fragiles et menues tablettes d’argile qui étaient les « devoirs de classe » des petits Babyloniens.

CIFRI

Pour aller plus loin:
Histoire de l’Ecriture, Plon, 1996

lundi 12 avril 2010

Une famille multiraciale

Quand Joséphine Baker constituait dans le château des Milandes une famille d’enfants issus de tous les continents, elle déconcertait les gens de bon sens qui aurait admiré sa générosité si celle-ci n’avait pas associé des cultures si diverses sous le même toit. Dans ce qui semblait un caprice d’artiste, personne ne reconnaissait l’intuition de l’avenir très proche et l’invention d’un nouvel art de vivre. Pourtant, devenus adultes, ces enfants de toutes origines expliquent leurs réussites, malgré les malheurs de leur naissance, par leur identité commune : l’appartenance aux Milandes.

La meneuse de la Revue Nègre était contemporaine des grands aviateurs qui créèrent l’immense aventure de l’Aéropostale, qui reliait les continents en quelques heures. Peut-être avait-elle lu le bouleversant « Courrier Sud » de Saint Exupéry ? Elle, qui venait de Saint Louis au Missouri, avait distingué sur les ailes des premiers avions l’imminence d’une nouvelle page de l’histoire humaine : Le développement irréversible de l’émigration-immigration intercontinentale.

Exilée elle-même, elle offrait donc une alternative aux enfants déracinés, l’invention d’une communauté interculturelle qui pourrait croître à partir du meilleur apport de chacun. Mais pour réussir cette nouvelle forme d’éducation, son couple d’adultes assurait à ces jeunes l’indispensable solidité d’un tuteur comme c’est l’usage dans tous les pays.

CIFRI

1906-1975 Joséphine Bakker
1901-1936 Jean Mermoz
1900- 1944 Antoine de Saint Exupéry
1927 Lancement de l’Aéropostale (Toulouse-Dakar, puis l’Amérique du Sud)

lundi 5 avril 2010

Echo de la voix des anciens

Les tomates, les haricots, les groseilliers ne peuvent se passer d’un tuteur pour mûrir. Les enfants leur ressemblent et nous pensons tout de suite aux parents et à l’école. Malheureusement, bien des familles sont mal en point et le professeur ne peut être à la fois le père absent, la mère débordée, le repas commun déserté et assurer en même temps l’enseignement dont il est chargé.. Chacun récriminant contre la défaillance de l’autre parti, on se presse d’en appeler aux traitements médico psychologues. Mais que peut faire le meilleur horticulteur sans terre autour du planton ?

La plupart des peuples ont proposé des alternatives à l’action des parents proprement dits, c’est la parenté, le voisinage immédiat qui soulageait la charge trop lourde des géniteurs. Dans les modernes quartiers de nos villes, ce recours s’efface souvent à cause de la dispersion des familles, et on cherche à proposer des activités attrayantes pour occuper une jeunesse en danger, or ces dépenses s’avèrent décevantes. Sachant bien que l’engrais ne suffit pas à fortifier le planton, nos ancêtres prenaient soin de nourrir le terreau de la communauté urbaine par un lieu symbolique accessible à tous et toujours régulièrement animé par des rites festifs. Qu’on l’appelle salle des fêtes, Case à palabres ou autrement, il s’agit toujours d’une humus protecteur…

Au nouveau venu qui entre, des jurons pleins la bouche, l’immigré objecte : « Arrête, tu abîmes les murs de notre maison » et l’adolescent poursuit « Parce que les murs de la maison c’est nous » Quel aïeul français a donc chanté les murs de « Dame Tartine » qui étaient bâtis avec les douceurs du goûter offert après la classe ?

CIFRI

Pour aller plus loin : oeuvres de Jean Marie Petitclerc

vendredi 2 avril 2010

Des coups ou des mots

 Au maladroit qui s’excuse d’avoir bousculé un passager dans l’autobus, le Provençal dont les œufs sont tombés répond « Arrête de parler, tu m’ôtes, en plus, le plaisir de t’engueuler…» Les mots retiennent donc la gifle que sa main serait prête à lancer. On croirait lire un dialogue de l’Iliade. Merveilleux Homère qui apprenait à ses concitoyens à dominer leur brusquerie par la  virtuosité de la parole.
Les journaux sont remplis de récits de violence enfantine, mais les reportages montrent que les fautifs sont habituellement démunis d’expression française. Les coups ont remplacé des mots qui leur demeuraient étrangers. Il aurait peut-être suffi qu’ils déchargent leur colère dans leur langue maternelle pour que celle-ci s’apaise. « Comme il ne le comprend pas,  j’injurie mon professeur en arabe, il se fâche mais je ne vais pas en conseil de discipline. » expliquait un adolescent aussi sage que l’adulte qui feignait de ne pas « entendre » la violence insuffisamment dominée.

CIFRI

Cf. Jacqueline de Romilly « Dans le jardin des mots » Fallois 2007

lundi 29 mars 2010

L’image du miroir

Quand je me regarde dans la glace
Je feuillette un album de photos,
Le temps a copié-collé sur mon visage
Toutes les figures du passé,

Je feuillette un album de souvenirs,
De qui est-ce que je tiens les cheveux,
La forme du nez et des sourcils,
La couleur des yeux et de la peau ?

Mais comment les reconnaître,
Pour découvrir qui je suis.
Il faudrait se rappeler l’histoire
Et les histoires d’amour et de guerre

Qui se ressemblent dans tant de pays
Chaque trait de mon visage
Vient de parents qui se sont aimés
L’amour a partout la même couleur

Me voilà dépositaire d’un immense héritage
Maillon incontournable de la chaîne humaine
Qui confie à chacun le dessin de la Vie
Qui l’embellit de la grâce de son hérédité.

CIFRI

Cf. M. J. Coloni De leurs terres au béton Ed Georg, Genève.

vendredi 12 mars 2010

Mémoire orale, patrimoine de toutes les civilisations

Il est arrivé en larmes pourtant il était habituellement enjoué et satisfait des compliments de sa maîtresse de CP, c’est que le secret de ses succès tenait à l’orthographe de son nom africain. Le Z qui en était l’initiale lui valait d’être au dernier rang de la classe, donc le dernier à être interrogé. Alors, de sa jolie petite voix, il lisait la poésie sans la moindre hésitation. Aussi, quand survint l’inspecteur chargé de contrôler l’enseignante, il fut le premier à être sollicité par l’institutrice. Catastrophe ! Personne, avant lui, n’avait lu la page, il n’avait pu écouter aucun camarade… d’où un silence lourd d’indifférence aux lettres qui s’effaçaient devant sa mémoire. Sa chère maîtresse était fâchée après lui, elle le soupçonnait de tricherie pour cacher sa paresse, et le petit bonhomme ne comprenait pas pourquoi on le grondait d’avoir appris comme sa maman le lui enseignait. « A quoi servent les livres puisqu’il écoute les leçons en classe ? » s’étonnait la mère convoquée à l’école pour entendre que son garnement était en retard d’apprentissage de la lecture.

Le risque le plus sévère de cet incident serait que mère et enfant se sentent définitivement étrangers au monde scolaire dans lequel ils avaient cru s’intégrer parce qu’ils en viendraient à « décrocher » quelques années plus tard. « Pourquoi tu pleures ? Ce n’est qu’un professeur, donc tu t’en moques. »

La mémoire orale a porté la culture occidentale pendant des siècles, c’est grâce à elle que nous connaissons les poèmes d’Homère. Elle fait donc partie intégrante de notre patrimoine, comment faire comprendre que l’écriture n’est qu’une extension de son message ?

CIFRI

Pour poursuivre la réflexion:
Daniel Pennac « Chagrin d’école », Gallimard, 2007.

jeudi 11 mars 2010

Le pays de maman

C’était une petite fille insupportable, elle avait usé la patience de tous les adultes et même celle de ses camarades, échec scolaire, rébellion permanente, brutalité, rien ne manquait pour que le petit visage tourmenté perde toute grâce. On savait bien dans le quartier que les parents faisaient jaser, on entendait parfois « Que veux-tu ? Ce sont des Noirs. » Et c’est à cause de cette humiliation que les éducateurs décidèrent une sortie des enfants au Musée Dapper pour y découvrir une exposition de parures africaines, masques et bijoux de fête.

La gamine fut sage comme une image, c’était peut-être la première fois de sa vie ! Et elle était devenue jolie quand elle confiait : « Ma maman, elle vient d’un grand pays. » Reproduisant avec talent les décors qui l’avaient éblouie, elle en conclut qu’elle pouvait travailler en classe et être aimable avec les autres.

CIFRI
Cf. la collection des volumes publiés au musée Dapper, à Paris